Le Myanmar reconnaît pour la première fois une exécution de Rohingyas
Mercredi 10 janvier, les forces armées birmanes ont reconnu avoir exécuté dix Rohingyas dans l’état de Rakhine. Une déclaration inattendue qui intervient à l’approche de la mise en application de l’accord de rapatriement des Rohingyas avec le Bangladesh. Depuis le ravivement de la crise en août dernier, les autorités du Myanmar font preuve de fermeture et les seules informations sur les persécutions de cette minorité musulmane proviennent des témoignages des exilés.
Ils avaient été arrêtés début septembre. Dix « terroristes » Rohingyas, tels qu’ils ont été qualifiés par les forces armées birmanes, qui ont été exécutés dans la foulée de leur interpellation par trois villageois et quatre soldats, et enfin placés dans une fosse commune. Cela s’est passé à Inn Din, un village de l’état de Rakhine, la subdivision administrative du Myanmar au cœur de l’actualité suite à la crise Rohingya – la province compte près d’un million de personnes appartenant à cette minorité musulmane – ravivée depuis l’été dernier.
L’événement peut presque sembler anecdotique au vu des nombreux témoignages rapportés de massacres et des 655 000 Rohingyas en exil au Bangladesh depuis août 2017, suite à la large répression par l’armée d’une attaque des rebelles de l’Armée de Secours des Rohingyas de l’Arakan contre un poste de police. Il s’agit cependant d’un point d’importance. Mercredi 10 janvier, le bureau du chef de l’armée a reconnu officiellement via un message Facebook avoir commis ces faits, indiquant que les prisonniers avaient été tués sans aucun procès et que les « responsables seront jugés devant la loi ». Jusqu’ici, le gouvernement avait systématiquement nié toute accusation d’exactions – meurtre, torture, viol – rapportée par des témoins en exil et par les ONG.
Le début du rapatriement en approche, mais les zones d’ombre persistent
Il est impossible pour l’instant de faire la lumière sur la totalité des tenants et aboutissants des agissements des forces armées birmanes– qui détiennent toujours, malgré la fin de la dictature militaire en 2011, les postes-clés du gouvernement – mais cette timide ouverture dénote avec l’extrême opacité qui régnait jusqu’ici. Les autorités militaires demeurent en revanche sur leurs positions en affirmant n’avoir tué aucun civil. Des membres de la rébellion ont contesté cette version sur les réseaux sociaux en soutenant que les dix Rohingyas tués étaient des citoyens innocents, ce à quoi l’armée a répondu qu’une enquête aurait lieu afin de le déterminer. Selon cette dernière toujours, la nuance est parfois délicate à saisir en raison des soutiens qui peuvent exister entre population et factions rebelles armées.
Les raisons de ces aveux inattendus posent donc question. Le gouvernement cherche-t-il à apaiser les pressions internationales tout en se dédouanant de crimes civils, au moment où l’accord de rapatriement des Rohingyas avec le Bangladesh est sur le point d’être mis en application ? Vendredi 12 janvier, Aung San Suu Kyi a qualifié cet acte de reconnaissance « d’indication positive » que le pays prend ses responsabilités. Sa réaction était attendue en raison du statut polémique de cette icône birmane à travers cette crise. Néanmoins, sa fonction et son historique politique avec l’armée lui imposent une prise de position prudente. Aujourd’hui porte-parole du gouvernement, Aung San Suu Kyi a également précisé que les déclarations de l’armée ne changeraient rien au processus de retour des Rohingyas au Myanmar.
La mise en application de cet accord et la future considération des Rohingyas[1], si elle évolue, en diront plus sur les intentions gouvernementales face à ce conflit. Le Ministre des Transports bangladais Obaidul Quader avait annoncé en décembre 2017 qu’une liste de 100 000 noms allait être envoyée au Myanmar, pour un début de rapatriement fin janvier 2018.
[1] La nationalité birmane a été officiellement retirée aux Rohingyas en 1982.